La clause de départ : le débat actuel sur sa validité
En 2022, la Cour supérieure invalidait la clause de départ prévue dans les baux de deux locataires de coopératives d’habitation dans deux jugement distincts.
McLean c. Cooperative d’habitation du Canal de Pointe-Saint-Charles
Le 2 mars 2022, le premier de ces jugements fut rendu par le juge Marc St-Pierre, J.C.S.
David McLean, un locataire et membre de la coopérative d’habitation du Canal de Pointe-Saint-Charles, y occupe un logement à loyer modique depuis 2014. La coopérative l’exclut à titre de membre au terme du processus disciplinaire prévu à l’article 58 de la Loi sur les coopératives. Une fois exclu, la coopérative entreprend de l’évincer de son logement en application de la clause de départ inscrite dans son bail et dans le règlement de régie interne, “sans passer par le tribunal administratif du logement”, note le Tribunal.
M. McLean invoque alors devant la Cour deux moyens : l’absence d’équité procédurale du processus d’exclusion et le caractère illégal de la clause de départ.
En ce qui concerne le premier moyen, M. McLean prétend qu'il n'a pas été entendu lors de la réunion avec le conseil d'administration, bien qu’il ne fut pas étranger au déroulement houleux de cette réunion, commente le Tribunal. Après avoir conclu que l’équité procédurale avait été respectée par des administrateurs “bénévoles sans aucune formation juridique qui font au mieux”, le Tribunal maintient la décision d’exclure M. McLean à titre de membre de la coopérative.
Quant au deuxième moyen, la Cour décide toutefois que la clause de départ est illégale et nulle, dans un jugement relativement concis. La question en litige posée est alors la suivante :
“ (…) Est-ce que la clause dans le bail et l’article dans les règlements de régie interne qui prévoient l’éviction du membre expulsé sont légales? ”
Les principaux motifs mis de l’avant par le Tribunal pour y répondre, peuvent être résumés ainsi :
Les motifs du jugement de la Cour du Québec Coopérative d’habitation Le Rouet c. Herrera ayant validé en 2004 la clause de départ ne convainquent pas le tribunal. Quand aux décisions du Tribunal administratif du logement (jusqu’en 2020, la Régie du logement) ayant confirmé subséquemment et pendant près de 18 ans ce jugement, celles-ci suivaient avec déférence la Cour du Québec, leur tribunal d’appel ;
La Cour remet en cause le courant jurisprudentiel du Tribunal administratif du logement reconnaissant la validité de la clause de départ, citant une décision de la Cour du Québec ayant permis l’appel d’une décision de la Régie du logement sur cette même question (sans statuer sur le fond). La Cour cite également au soutien de cette conclusion un auteur qui estime que le jugement Coopérative d’habitation Le Rouet demeure controversé ;
La Cour emboite le pas à cet auteur et elle conclut qu’il n’existe aucune controverse dans le jugement Coopérative d’habitation Le Rouet, tant il lui apparait clair que le droit au maintien dans les lieux (art. 1936 C.c.Q.) doit prévaloir même dans le cas d’un bail entre un membre et une coopérative d'habitation. La cour s’appuie essentiellement sur l’absence de dispositions expresses dans le Code civil du Québec prévoyant que la Loi sur les coopératives constitue une exception au droit au maintien dans les lieux prévu à l’article 1936 C.c.Q. La clause de départ dérogerait ainsi à la section du Code civil du Québec établissant les règles particulières applicables au bail de logement : elle serait donc sans effet, qu’elle soit prévue dans le bail (1893 C.c.Q.) ou dans le règlement qui en fait partie (1894 C.c.Q.).
Dumberry c. Coopérative d'habitation Clair de Lune de Pointe Saint-Charles
Le 30 septembre 2022, c’est au tour du juge Azimuddin Hussain, J.C.S., de conclure également à l’invalidité de la clause de départ, dans un contexte factuel similaire à celui du dossier McLean.
Sylvie Dumberry est une locataire depuis 1991 de la Coopérative d'habitation Clair de Lune de Pointe Saint-Charles et son loyer est subventionné. En juillet 2020, après plusieurs années de tension entre elle et la coopérative, elle est exclue pour plusieurs reproches en lien avec sa conduite, et selon la procédure disciplinaire prévue aux articles 57 et 58 de la Loi sur les coopératives.
Comme pour le dossier McLean, le Tribunal rejette la prétention de Mme Dumberry que la décision de l’exclure fut prise aux termes d’une démarche qui contrevenait à l’équité procédurale. Son exclusion à titre de membre est donc maintenue. À l’instar du dossier McLean, le Tribunal invalide toutefois la clause de départ, pour des motifs similaires.
Le droit au maintien dans le logement de Mme Dumberry prévaut donc, et la clause de départ de la coopérative est déclarée illégale et de nul effet.
Commentaires
Modification importante dans le courant jurisprudentiel existant depuis les acquis du jugement de la Cour du Québec en 2004, Coopérative d’habitation Le Rouet c. Herrera, acquis déjà malmené et critiqué par le Tribunal administratif du logement en 2021 dans la décision Thivierge c. Coopérative d’habitation Thiotiake, ces deux jugements de la Cour supérieure soulèvent plusieurs commentaires :
Il peut d’abord sembler étonnant que le tribunal n’ait pas considéré avec plus d'importance le courant jurisprudentiel majoritaire du Tribunal administratif du logement ayant appliqué le jugement de la Cour du Québec Coopérative d’habitation Le Rouet c. Herrera. Certaines décisions rendues par ce tribunal ont pourtant reconnu le caractère distinct des coopératives d’habitation. Ce courant jurisprudentiel, qui assurait une certaine stabilité et logique dans les coopératives d’habitation, est rapidement balayé dans le dossier McLean, sans autre explications quant à son maintien pendant plus de dix années que la déférence du Tribunal administratif du logement pour la Cour du Québec, sa division administrative d’appel.
Également, la Cour ne traite aucunement des conséquences de maintenir dans un logement appartenant à une coopérative d’habitation un locataire qui ne serait plus membre de cette coopérative, comme c’est le cas pour M. McLean et Mme Dumberry. Paradoxalement, ces derniers seraient ainsi soumis à moins d’obligations que des membres en règle de ces coopératives d’habitations.
La Cour restreint l’exception des “cas prévus par la loi” permettant d’évincer un locataire, selon l’article 1936 C.c.Q., aux seules dispositions expresses du Code civil du Québec applicables au bail d’un logement, en raison de l’interdiction faite par l’article 1893 C.c.Q de modifier les droits des locataires résidentiels, dont celui d’être maintenu dans le logement. Le sens de plusieurs articles spécifiques de la Loi sur les coopératives, tels que les articles 219.1, 220 et 221, n’est pas évoqué dans le jugement. Quant à l’article 221.1 de cette loi, il est lu de manière isolée des articles 219.1, 220 et 221 qui le précèdent. Nous soumettons respectueusement que cette interprétation devrait avoir une portée plus large, conforme au caractère distinctif et reconnu d’une coopérative d’habitation et à l’objet de la relation contractuelle avec ses membres.
Il est intéressant de noter que le Tribunal administratif du logement, tribunal spécialisé en matière de louage résidentiel, s’est parfois écarté d’une telle interprétation de l’article 1893 C.c.Q., en rappelant par exemple qu’une coopérative d’habitation pouvait prohiber dans ses règlements le droit d’un locataire de sous-louer ou céder son bail à une personne non-membre, malgré que ces deux droits soient prévus à l’article 1870 C.c.Q. Dans ce cas précis, s’il est vrai que l’article 1871 C.c.Q. prévoit qu’il est possible de limiter ces droits en cas d’un préjudice sérieux subis par le locateur, il est aussi vrai que le Tribunal administratif du logement a reconnu que les objets poursuivis par une coopérative d’habitation, ou par un organisme sans but lucratif, pouvaient être considérés dans la limitation de ces droits.
La Cour n’évoque pas non plus la spécificité contractuelle et le caractère associatif de la relation entre un membre et une coopérative d’habitation, ni-même que ce régime juridique particulier et distinct fut reconnu par la Cour d’appel du Québec en 2002.
Enfin, la Cour ne donne aucun poids aux commentaires fait dans le jugement Lozano Lozano c. Coopérative d'habitation Primavera de la Petite-Patrie. Cette décision de la Cour supérieure livre pourtant des indications soutenues juridiquement quant au fait que le contrat de membre, contrat principal en raison de l’essence de l’opération juridique entre un membre et une coopérative, devrait logiquement primer sur le bail, qui demeurerait ainsi un contrat accessoire. Dans les deux dossiers, la Cour confirme cependant que M. McLean et Mme Dumberry sont exclus de leur statut de membre, et ce faisant, elle met un terme à leurs contrats de membre.
Conclusion
Le 30 novembre 2022, la Cour d’appel réunissait pour une audition conjointe les dossiers McLean et Dumberry. La plus haute cour du Québec devrait donc mettre un terme à la controverse jurisprudentielle et trancher la question de la validité de la clause contractuelle d’exclusion au regard du droit au maintien dans le logement prévu par le Code civil du Québec.
Le 10 janvier 2023, le juge St-Pierre invalidait une nouvelle fois une même clause de départ dans le jugement Murray c. Coopérative d'habitation Cinquième Saison de Verdun, malgré l’appel pendant des dossiers McLean et Dumberry.
Avant que la Cour d’appel ne rende son jugement, nous réitérons que les coopératives d’habitation devront continuer à valoriser la qualité et le statut de leurs membres en augmentant, lorsque c’est possible, les loyers et de manière concomitante la valeur du rabais octroyé sur leur loyer, ainsi que les services et les privilèges qui leur sont exclusivement réservés.
Quel que soit ce jugement, le législateur pourrait voir dans cette controverse l’opportunité de clarifier les limites du droit au maintien dans le logement des locataires d’une coopérative d’habitation. Nous croyons qu’il en va de la pérennité du modèle des coopératives d’habitation à la lumière des règles d’action coopérative, alors même que de nombreuses coopératives d’habitation doivent composer avec l’absence accrue d’implication de leurs membres et la remise en question de leur raison d’être.
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