La clause de départ : une remise en question
Avant que la Cour supérieure n’invalide la clause de départ en 2022 et 2023 dans les affaires McLean, Dumberry et Murray, le Tribunal administratif du logement avait déjà émis en 2021 un avertissement à ce sujet dans la décision Coopérative d'habitation Tiohtiake c. Thivierge.
Les faits
M. Thivierge, un des fondateurs de la coopérative d’habitation Tiohtiake à Montréal, y occupe un logement à loyer modique. En 2019, il perd ses droits de membre lorsqu’il est exclu par le conseil d’administration. Il conteste judiciairement à la Cour supérieure cette exclusion, puis se désiste de son pourvoi, n’ayant plus d’énergie à consacrer à cette contestation. La Coopérative lui propose alors d’annuler son exclusion et de le rétablir dans ses droits de membre.
Le locataire décline l’offre, préférant demeurer dans son logement à titre de locataire non-membre. La Coopérative adopte peu de temps après dans sa réglementation une clause de départ à l’expiration du bail en cas de perte des droits de membre.
Avisé que son bail était modifié du fait de l’application de cette nouvelle clause de départ (et de l’augmentation de son loyer consécutive à son statut de locataire non-membre), le locataire refusa de quitter son logement.
La coopérative dépose alors une demande en expulsion, se fondant sur l’application de sa clause de départ.
La décision
Après avoir conclu que le tribunal était le forum compétent pour disposer de cette demande, le juge administratif Alexandre Henri fut d’avis que la clause de départ ne pouvait s’appliquer au locataire dans sa situation actuelle, pour les motifs suivants :
Bien que le locataire n’ait pas contesté la modification à son bail, les articles 1945 et 1955 du Code civil du Québec (“C.c.Q.”) ne s’appliquent pas à son cas puisque il n’était pas un membre de la coopérative au moment de l’adoption de clause de départ, selon le texte même de ces deux dispositions ;
Également, bien que le locataire avait l'obligation de contester cette modification de son bail, à titre de locataire d'un logement à loyer modique (article 1993 C.c.Q.), la clause de départ n'a pas pour autant été ajoutée au bail, puisqu’il a droit au maintien dans les lieux, une norme d’ordre public et fondamentale en matière de louage résidentiel (article 1936 C.c.Q.) ;
L’adoption de la clause de départ étant postérieure à la perte des droits de membre du locataire, celui-ci n’a pas non plus renoncé à l’avance à son droit au maintien dans lieux ;
Le locataire s’est astreint à payer la majoration de 10 % de son loyer prévue dans le Règlement sur les conditions de location des logements à loyer modique en cas de perte des droits de membre ;
Le Code civil du Québec ne prévoit pas explicitement d’exception au droit au maintien dans les lieux dans le cas d’un logement dans une coopérative d’habitation (comme par exemple la reprise de logement) ;
Le tribunal révise également le fondement de la validité de la clause de départ, mis de l’avant dans le jugement rendu par la Cour du Québec en 2004, Coopérative d’habitation Le Rouet c. Herrera. Le tribunal estime qu’il n’y pas lieu d’appliquer ce jugement, bien qu’il ait été largement confirmé par la jurisprudence majoritaire du tribunal quant à cette question.
Commentaires
Les faits de cette décision peuvent être distingués de ceux des nombreuses autres décisions du tribunal ayant validé l’application des clauses de départ dans des coopératives d’habitation, depuis 2004 :
Nous notons que le locataire Thivierge avait refusé de redevenir ultérieurement un membre après que la coopérative le lui ait proposé à la suite de l’annulation par la Coopérative de son exclusion, aux termes de procédures de contestation inabouties devant la Cour supérieure. En demeurant volontairement un locataire non-membre dans un logement à loyer modique, il ne manquait pas de faire naitre un débat quant à l’application de la clause de départ.
Nous regrettons que le tribunal n’ait pas accordé plus de poids aux conséquences de ne pas assujettir le locataire non-membre à une clause de départ, alors que les locataires membres le sont. Nous voyons là un déséquilibre inéquitable entre les droits des membres ayant accepté de se soumettre au régime associatif de leur coopérative (rappelons que la Loi sur les coopératives s’intitulait Loi sur les associations coopératives avant 1982) et ceux d’un locataire qui ne serait plus un membre, et qui paradoxalement s’en trouve avantagé. Ce dernier bénéficierait ainsi de plus de droits que les locataires-membres, qui participent à la gestion de leur coopérative (corvées et tâches administratives, participation dans les comités, présence aux assemblées, etc.). Un tel déséquilibre entre les droits des locataires membres et non-membres fut logiquement écarté par plusieurs décisions du Tribunal administratif du logement, étant même qualifié d'aberration dans l'une d'entre elles rendue en 2017.
En 2019, une autre de ces décisions appliquait une clause de départ à un locataire, qui tout comme M. Thivierge, n’était pas membre lors de son adoption : Walsh c. Coopérative d'habitation du Parc vert.
Le Tribunal semble limiter le champ des dispositions d’exception au droit au maintien dans les lieux, dans sa lecture de l’article 1936 C.c.Q.
“1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi”.
Il est à noter que l’expression “par la loi”, reprise plus de 170 fois dans le Code civil du Québec fait référence au concept de loi dans son acceptation commune, soit l’ensemble des règles juridiques édictées par le législateur, que celles-ci se trouvent dans le Code civil du Québec ou dans toute autre loi connexe. Cette interprétation permet de lire l’article 1936 C.c.Q. en tenant compte de la Loi sur les coopératives, qui est connexe aux dispositions du louage résidentiel dans le Code civil du Québec, et qui est par exemple citée à titre d’exception au droit au maintien dans les lieux à l’article 1945 alinéa 2 C.c.Q.
Pour autant, le tribunal est d’avis que rien dans la Loi sur les coopératives ne viendrait constituer une exception au droit au maintien dans les lieux, endossant en cela les commentaires d’auteurs ayant soulevé en il y a une vingtaine d’années l’enjeu que pouvait alors poser le statut de locataire non-membre dans une coopérative d’habitation.
Au soutien de cette affirmation, le tribunal cite l’article 221.1 de la Loi sur les coopératives :
“221.1. Pour être admise comme membre d’une coopérative visée à l’article 221, une personne doit être partie à un bail de location d’une unité de logement appartenant à la coopérative. (…)
[108] En vertu de cette disposition, il est obligatoire d’être locataire pour être membre d’une coopérative, mais l’inverse n’est pas vrai. L’obligation d’être membre d’une coopérative pour y louer un logement n’est prévue nulle part.”
Respectueusement, nous croyons plutôt que l’obligation d’être membre pour louer un logement dans une coopérative d’habitation s’infère de la Loi sur les coopératives et que l’existence du contrat de membre subordonne celle du bail. En effet, la lecture des articles 219.1, 220 et 221 de la Loi sur les coopératives permet d’affirmer que la location d’un logement dans une coopérative d’habitation est conditionnelle au fait d’en être membre. D’une part, la Loi sur les coopératives classe les coopératives d’habitation dans la catégorie des coopératives de consommateurs, dont l’objet est de fournir à ses membres des services pour leur usage personnel (article 219.1), de faciliter à ses membres l’usage d’un logement (article 220) et de louer des logements à ses membres (article 221).
D’autre part, nous croyons que l’article 221.1, placé en 2015 dans le même chapitre et la même section de la loi que ces articles, a été lu de manière isolée par le tribunal et qu’il devrait plutôt se lire de manière à en harmoniser le sens avec ces trois articles précédents. La lecture conjointe de ces articles permet de soutenir plutôt un principe de subordination entre l’adhésion à titre de membre d’une coopérative et la signature d’un bail à titre de locataire. Le contrat de membre est le contrat primaire et principal, le bail demeurant le contrat accessoire, qui dépend de l’adhésion à titre de membre dans une coopérative d’habitation.
En 2020, la Cour supérieure ne manquait d’ailleurs pas de souligner que le bail dans une coopérative d’habitation était ainsi “subordonné” au contrat de membre :
“[23] Dans le cas qui nous occupe, comme dans le bail accessoire à un contrat de travail, il y a également deux contrats distincts, soit le contrat de membre et le bail, qui sont liés l’un à l’autre [30]. En outre, le bail est en quelque sorte subordonné au contrat de membre, car l’essence de l’opération est de créer une forme d’association entre des personnes partageant un but commun par l’entremise d’une entité, soit la coopérative.
Note 30 : Pour louer un logement de la coopérative, il faut en devenir membre.”
Ce principe de subordination est d’ailleurs appliqué par les coopératives d’habitation dans le processus habituel de recrutement des nouveaux locataires. Il est en effet improbable qu’un nouveau locataire souhaitant vivre dans une coopérative d’habitation n’en soit pas membre ou refuse initialement de l’être. Comment pourrait-il dès lors bénéficier d’un rabais sur son loyer, une considération octroyée en échange de sa participation dans cette coopérative, mais sans en avoir été admis à titre de membre ?
En 2020, une autre décision du Tribunal administratif du logement faisait une lecture de l’article 221.1 en notant qu’une coopérative bénéficie d’un régime particulier et qu' « il s’agit de respecter les principes de la gestion coopérative ».
Nous proposons donc de conclure que les articles 219, 220, 221 et 221.1 de la Loi sur les coopératives, lus ensemble, reflètent bien la finalité et l’objectif du régime des coopératives d’habitation, régime dont le caractère distinctif et corporatif fut reconnu par la Cour d’appel du Québec en 2002 dans une décision unanime. Nous croyons que ces articles sont révélateurs de la véritable intention du législateur et qu’ils constituent une exception admissible au droit au maintien dans le logement prévu à l’article 1936 C.c.Q.
Conclusion
La décision Coopérative d'habitation Tiohtiake c. Thivierge précédait et semblait annoncer le virage pris par la Cour supérieure en 2022 dans les affaires McLean et Dumberry. La Cour d’appel est saisi d’un appel conjoint de ces deux affaires et elle rendra probablement sa décision au cours des prochains mois.
D’ici là, les coopératives d’habitation devront continuer à valoriser la qualité de membre de leurs locataires, encore plus qu’elle ne l’est à l’heure actuelle. Cette démarche passe par une augmentation des loyers (lorsque une telle augmentation est possible) et une augmentation concomitante du rabais sur le loyer octroyé aux seuls membres, ainsi que les avantages importants qui peuvent leur être exclusivement conférés.
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