La responsabilité personnelle des administrateurs

Lorsqu'il s'agit d'examiner la responsabilité personnelle des administrateurs, plusieurs éléments entrent en jeu. Cette forme de responsabilité, qui relève du domaine extracontractuel, est scrutée en fonction de la nature de la faute commise par les administrateurs, du préjudice subi et du lien de causalité qui les relie. Dans ce contexte, les allégations de responsabilité personnelle doivent être soigneusement détaillées, et les tribunaux exigent une preuve solide pour écarter l'immunité relative dont jouissent souvent les administrateurs pendant l'exercice de leur mandat.

L'Importance de respecter les limites du mandat

Il est crucial de se rappeler que l'administrateur agit en tant que mandataire de la personne morale, et sa responsabilité envers les tiers est limitée tant qu'il opère dans les paramètres de son mandat.

Une série de jugements souligne que la responsabilité personnelle des administrateurs ne peut être engagée que lorsqu'ils franchissent les limites de leur mandat. Un arrêt de la Cour d'appel, Lanoue c. Brasserie Labatt ltée, énonce clairement les circonstances susceptibles de donner lieu à une telle responsabilité personnelle. Celle-ci peut être engagée si l'administrateur se porte garant d'une obligation contractuelle de la société, commet personnellement une faute en dehors du contrat, participe activement à une faute de la société, ou utilise cette dernière pour masquer une fraude ou un abus de droit.

D'ailleurs, l'article 317 du Code civil du Québec codifie les conditions permettant d'engager la responsabilité personnelle de l'administrateur et de "lever le voile corporatif" qui distingue sa responsabilité et son patrimoine de ceux de l’organisme ou de la société administrées :

"317. La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre public."

Pour prévenir la responsabilité personnelle et se maintenir dans les limites de son mandat, tout administrateur se doit de respecter trois obligations fondamentales :

  • Prudence et Diligence : il incombe à l'administrateur d'agir de manière raisonnable, honnête et dans l'intérêt supérieur de la personne morale qu'il représente. L’administrateur ne doit pas hésiter à s’informer et requérir à des professionnels afin de l’éclairer dans les choix à prendre et les orientations de l’organisme (avocats, comptables, etc.).

  • Loyauté et Intégrité : l'administrateur doit constamment privilégier l'intérêt de l'entité qu'il administre, évitant tout conflit d'intérêts qui pourrait surgir avec ses propres intérêts.

  • Conformité aux lois et règlements applicables : à tout moment, l'administrateur est tenu d'opérer et de prendre des décisions en conformité avec les lois et règlements applicables à l'organisation ou l’entreprise qu’il administre. Plusieurs lois établissent que sa responsabilité personnelle peut d’ailleurs être engagée, parfois de manière solidaire avec celle de la personne morale, pour des manquements tels que les retenues à la source non versées aux employés salariés ou des dommages environnementaux résultant d'une inaction pour les éviter ou y remédier.

Il est donc essentiel pour l'administrateur d'adopter une approche proactive et de respecter ses devoirs fiduciaires pour éviter de s'exposer à des allégations de responsabilité personnelle. Les tribunaux examineront rigoureusement la preuve présentée pour évaluer comment l'administrateur a rempli ses obligations.

Une faute distincte de celle de l’organisme

Un élément fondamental à retenir est la nécessité de distinguer la faute reprochée à l'administrateur de toute faute contractuelle de la société. Pour engager la responsabilité personnelle de l'administrateur, il est crucial de démontrer que sa faute découle d'une obligation légale indépendante de la relation contractuelle, et non seulement d'une violation contractuelle.

Il peut être tentant d'alléguer qu'une faute commise par l'organisation ou la compagnie découle automatiquement des décisions du conseil d'administration, celui-ci étant le principal organe décisionnel. Toutefois, de telles allégations doivent être étayées par des faits concrets, et une faute peut également provenir d'actions opérationnelles ou de décisions exécutées par d'autres parties, tels que des commettants extérieurs à l’organisation ou même ceux agissant au sein de l’organisation, tel que le directeur général.

La nature précise des allégations formulées à l'encontre d'un administrateur revêt donc une importance primordiale. Cela peut avoir des conséquences immédiates pour l'administrateur, l'obligeant parfois à mobiliser des ressources et des fonds substantiels pour sa défense. Il est à noter que les polices d'assurance responsabilité des administrateurs et dirigeants (A&D) ainsi que les assurances contre les erreurs et omissions (E&O) peuvent comporter des clauses excluant certaines actions de l'administrateur, telles que les actes frauduleux, criminels ou des fautes intentionnelles, individuelles ou en collaboration avec d'autres parties, notamment des tiers.

Pour qu'une telle responsabilité soit retenue, l'administrateur doit dépasser les limites de son mandat et commettre une faute distincte de la violation contractuelle. La malveillance et la malice peuvent également jouer un rôle décisif dans l'évaluation de la responsabilité personnelle. Cependant, il est essentiel que les allégations soient solidement étayées par des faits tangibles pour que la responsabilité personnelle de l'administrateur puisse être engagée.

Ces principes, correctement mis en oeuvre tout au long du mandat de l’administrateur, lui permettront de se maintenir dans la zone d’immunité relative que la loi et la jurisprudence lui reconnaissent.

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Gilles G. Krief